Je sais dans un quartier désert
Un coin qui se donne des airs
De province aristocratique
J'y découvris l'autre saison
Encastrée entre deux maisons
Une minuscule boutique
Un beau chat noir était vautré
Sur le seuil quand je suis entrée
Il leva sur moi ses prunelles
Puis il eut l'air en me voyant
De se dire: "Tiens! Un client…
Quelle chose sensationnelle!"
Ce magasin d'antiquités
Excitait ma curiosité
Par sa désuète apparence
Une clochette au son fêlé
Se mit à tintinnabuler
Dans le calme et tiède silence
Soudain, sorti je ne sais d'où
Un petit vieillard aux yeux doux
Me fit un grand salut baroque
Et j'eus l'étrange sentiment
De vivre un très ancien moment
Fort éloigné de notre époque
Je marchandais un vieux bouquin
Dont la reliure en maroquin
Gardait l'odeur des chambres closes
Lorsque je ne sais trop comment
Je me mis au bout d'un moment
A parler de tout autre chose
Mais le vieux ne connaissait rien
Quel étonnement fut le mien
De constater que le bonhomme
Ne savait rien évidemment
Des faits et des événements
Qui passionnaient les autres hommes
Il ignorait tout de ce temps
Aussi bien les gens importants
Que les plus célèbres affaires
Et c'était peut-être cela
Qui, dans ce tranquille coin-là
Créait cette étrange atmosphère
J'acquis le bouquin poussiéreux
Et je partis le coeur heureux
Le chat noir toujours impassible
Dans un petit clignement d'yeux
Parut me dire, malicieux:
"Tu ne croyais pas ça possible!..."
Je m'en allai, et puis voilà
Mon anecdote finit là
Car cette histoire ne comprend
Ni chute, ni moralité
Mais quand je suis trop affectée
Par le potins que l'on colporte
Par les scandales dégoûtants
Par les procédés révoltants
Des requins de la politique
Afin de mieux m'éloigner d'eux
Je vais passer une heure ou deux
Dans cette petite boutique…